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New York - Page 5

  • New York sous la pluie

    Eternelle jeunesse de Woody Allen ! Avec Un jour de pluie à New York, il nous emmène une fois de plus dans cette ville qu’il aime tant et sa magie cinématographique opère à merveille. A l’université de Yardley, nous découvrons un beau couple d’étudiants : Gatsby (Timothée Chalamet), dont les parents sont riches comme ceux de sa belle, est enchanté d’apprendre qu’Ashleigh (Elle Fanning), étudiante en journalisme et cinéphile, a été désignée par la gazette universitaire pour interviewer à New York un cinéaste célèbre, Roland Pollard, dont ils ont vu et aimé tous les films.

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    Gatsby, un garçon très cultivé grâce à sa mère qui y a veillé, vient justement de gagner une grosse somme d’argent au poker – le jeu l’excite plus que les études – et il saisit l’occasion de faire découvrir sa ville à sa petite amie originaire de l’Arizona. Pour ne pas risquer de tomber sur ses parents – sa mère donne un gala ce soir-là mais il a prétexté avoir trop de travail pour le journal étudiant, il déteste ces soirées mondaines et la conversation futile avec des snobs –, il réserve loin de leur quartier une suite de luxe à l’hôtel Pierre, avec une vue splendide sur Central Park en automne.

    Il pleuvra sans doute, et rien n’est plus romantique aux yeux de Gatsby que de se promener dans New York sous la pluie, d’aller au musée voir une exposition, d’entrer le soir dans un piano-bar où l’on joue du jazz… L’interview ne devrait durer qu’une heure, ce qui leur laissera tout le loisir de flâner, et même de faire un tour en calèche comme en rêve Ashley.

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    Bien sûr, le scénario brise ce joli conte de fées : Ashleigh, 21 ans, est si excitée par son entretien avec le cinéaste (Liev Schreiber) en pleine crise artistique qu’elle va sauter sur l’occasion de le suivre dans New York, rencontrer le scénariste (Jude Law) et aller de surprise en surprise, tandis que Gatsby, déçu de l’attendre en vain, tue le temps en retrouvant d’anciennes connaissances. Dont Chan (Selena Gomez), la petite sœur d’une ex-petite amie qui ne lui avait accordé qu’un « 4 » pour sa façon d’embrasser ! On découvrira tout de même la mère de Gatsby (Cherry Jones), dans une scène époustouflante.

    Rien ne se passe comme prévu, et rien de mieux, dans un film, que l’imprévu. Woody Allen nous offre, comme dans Manhattan et Annie Hall, outre de formidables ambiances de la ville, des dialogues qui sont le sel de ses films où l’on parle beaucoup, et c’est toujours drôle, intelligent, inattendu. Un jour de pluie à New York n’en manque pas. Ce film n’est pourtant pas diffusé aux Etats-Unis : Woody Allen y est rejeté par le mouvement #MeToo, accusé d’agression sexuelle par sa fille adoptive et repoussé par certains acteurs (dont le jeune héros de ce film-ci). Le cinéaste est aussi en procès contre Amazon Studios. Aucun éditeur ne veut publier ses mémoires, d’après SoirMag.




    En attendant les résultats de ces procès au long cours, Un jour de pluie à New York est diffusé en Europe, où le cinéaste continue à tourner, soutenu par de nombreux artistes. Le choix des acteurs de son dernier opus est excellent, comme toujours, et vous entendrez le réalisateur parler à travers eux de tout ce qu’il adore – la musique, la littérature, les rencontres, le cinéma… Tout cela comme en passant, dans un chassé-croisé sentimental à la fois nostalgique et allègre.

  • Dis-moi ce que tu vois

    patti-smith-m-train-gallimard.jpg« J’ai abandonné tout ça sur mon lit et suis allée au Caffè Dante. J’ai laissé mon café refroidir et songé aux enquêteurs de police. Au sein d’un binôme, chacun dépend du regard de l’autre. Le premier dit : dis-moi ce que tu vois. Son associé doit parler d’une voix assurée, sans rien omettre. Mais un écrivain n’a pas de partenaire. Il est obligé de se demander : dis-moi ce que tu vois. Mais comme il se parle à lui-même, il n’est pas obligé d’être parfaitement intelligible, car quelque chose en lui se remémore toute partie manquante – ce qui n’est pas clair ou n’est que partiellement explicité. Je me suis demandé si j’aurais été une bonne enquêtrice. J’enrage de devoir l’avouer, mais je pense que non. Je ne suis pas très observatrice. Mes yeux semblent se tourner vers l’intérieur. J’ai réglé l’addition, émerveillée de constater que les mêmes décorations de Dante et Béatrice tapissent les murs du café depuis ma première visite, en 1963. Je suis sortie pour aller faire des courses. J’ai acheté la nouvelle traduction de La Divine Comédie et des lacets pour mes bottes. J’ai remarqué que je me sentais optimiste. »

    Patti Smith, M Train

  • Au café avec Patti S.

    Quelle excellente compagnie pour une fin d’année morose que M Train de Patti Smith (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard). La première phrase est parfaite : « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. » C’est ce que dit le cow-boy qui apparaît régulièrement dans ses rêves. « En ouvrant les yeux, je me suis levée, suis allée d’un pas chancelant dans la salle de bains où je me suis vivement aspergé le visage d’eau froide. J’ai enfilé mes bottes, nourri les chats, j’ai attrapé mon bonnet et mon vieux manteau noir, et j’ai pris le chemin si souvent emprunté, traversant la large avenue jusqu’au petit café de Bedford Street, dans Greenwich Village. »

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    Elle racontera, beaucoup plus loin, comment a été prise la photo de la jaquette du livre, la première et la dernière d’elle au Café ’Ino. « Ma table, flanquée de la machine à café et de la baie vitrée qui donne sur la rue, m’offre un sentiment d’intimité, je peux me retirer dans mon monde. » A neuf heures du matin, fin novembre, il est vide ; la phrase du rêve tourne dans sa tête et elle lui répond : « Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. »

    Zak, le gamin qui la sert, lui annonce que c’est son dernier jour. Il va ouvrir « un café de plage sur la promenade de Rockaway Beach ». Il ignore qu’elle avait rêvé de faire pareil (elle ignore encore ce qui va se passer un jour à cet endroit). Quand elle est arrivée à New York en 1965, « pour vagabonder », elle fréquentait le Caffè Dante – elle avait les moyens de boire du café, pas de se payer à manger – et puis s’était installée pas loin. C’est là qu’elle avait lu Le café de la plage de Mrabet et avait rêvé d’en ouvrir un, « le Café Nerval, un petit havre où poètes et voyageurs auraient trouvé la simplicité d’un refuge. »

    Si ce début vous plaît, M Train est fait pour vous. Patti Smith nous embarque dans ses rêves, ses rites et ses souvenirs. Son projet était tombé à l’eau après sa rencontre avec Fred « Sonic » Smith à Detroit, elle était partie vivre avec lui. Contre la promesse d’un enfant, il lui avait offert de l’emmener où elle voulait : ce fut Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, pour voir les vestiges de la colonie pénitentiaire et cette « terre sacrée » dont parle Genet dans Journal du voleur. Elle raconte leur voyage, l’illustre de quelques polaroïds (une cinquantaine dans M Train), avant de proposer à Zak d’investir dans son affaire – « Vous aurez du café gratuit pour le restant de vos jours. »

    Sa façon de faire l’impasse sur Thanksgiving, de passer Noël avec ses chats et une petite crèche flamande, puis la Saint-Sylvestre « sans résolution particulière », m’a plu, sereine et détachée. Elle termine un poème en hommage à Roberto Bolaño, reconnaissante qu’il ait passé la fin de sa courte vie à écrire 2666, « son chef-d’œuvre ». Patti S. parle avec ses objets familiers, aussi bien avec la télécommande qu’avec une photo, un bol, une chaise (celle de son père).

    Une invitation tombe à point pour la sortir de sa « léthargie apparemment incurable » : le Continental Drift Club (CDC) se réunira mi-janvier à Berlin. Un peu par hasard, elle est devenue membre de cette petite société formée dans les années 80 à la mémoire d’Alfred Wegener, « pionnier de la théorie de la dérive des continents ». Elle avait écrit à l’Institut A. Wegener pour obtenir l’autorisation de photographier les bottes de l’explorateur et, invitée à la conférence du Club à Brême, en 2005, avait été admise, vu son enthousiasme, parmi ce groupe de scientifiques. Lors de leur réunion à Reykjavík, deux ans plus tard, elle avait photographié la table de la fameuse partie d’échecs disputée en 1972 et même – une séquence loufoque – rencontré Bobby Fisscher en personne.

    Patti Smith adore les séries policières et en particulier The Killing, avec Sarah Linden, son enquêtrice préférée : « elle n’a beau être qu’un personnage dans une série télévisée, c’est un des êtres qui m’est le plus cher. Je l’attends chaque semaine, redoutant en silence le moment où The Killing s’achèvera et où je ne la reverrai plus jamais. » A Berlin, son hôtel n’est pas loin du Café Pasternak où elle a aussi sa table préférée, sous la photo de Boulgakov.

    Le titre de sa conférence a été mal traduit – « Les Moments perdus d’Alfred Wegener » au lieu de ses « derniers » moments –, par confusion entre « last » et « lost ». Son évocation de la mort de l’explorateur au Groenland – « Chemin blanc, ciel blanc, mer blanche » – et de ses dernières visions (discours griffonné sur des serviettes à l’hôtel) suscite des protestations, on ne sait rien de sa mort (il a été retrouvé gelé dans son sac de couchage) : « Ce n’est pas de la science, c’est de la poésie ! » Un désastre. Inspirée, elle trouve la formule magique pour conclure et dit d’une voix mesurée : « J’imagine que nous pourrions nous entendre sur le fait que les derniers moments d’Alfred Wegener ont été perdus. – Leur rire franc dépassait de beaucoup tout espoir que j’avais pu nourrir vis-à-vis de sympathique groupe un peu austère. »

    Patti Smith parle de ses rencontres, des écrivains qu’elle lit, qu’elle aime, de son chez-soi : « Ici règnent la joie et le laisser-aller. Un peu de mescal. Un peu de glandouille. Mais pour l’essentiel du travail. – Voici comment je vis, me dis-je. » A sa table au Café ’Ino, elle lit Murakami, titre après titre ; Chroniques de l'oiseau à ressort fait partie de ce qu’elle appelle « des livres dévastateurs ». On ne veut pas les quitter, à peine terminés on veut les relire. Combien de sortes de chefs-d’œuvre existe-t-il ? Deux, trois sortes ? Une seule ?

    Et ainsi de suite, régalez-vous. Pourquoi « M Train » ? J’ai d’abord pensé à son évocation de ce « jeu ancien, inventé depuis longtemps contre l’insomnie », entre autres usages, « une marelle intérieure qui se joue mentalement et non pas sur un pied » : « prononcer un flux ininterrompu de mots commençant par la lettre choisie, disons la lettre M. Madrigal menuet maître mère montre magnétophone maestro mirliton merci marshmallow meringue méfait marais mental etc., sans s’arrêter, en avançant mot par mot, case par case. »

    Mais au milieu de son récit, Patti Smith nous emmène à la Casa Azul, dernière demeure de Frida Kahlo, où elle va prononcer une conférence et chanter. Elle ne sent pas bien, la directrice insiste pour qu’elle se repose dans la chambre de Diego Rivera. La voilà allongée sur le lit de Diego, pensant à Frida. Elle pourra tout de même tenir son rôle le soir, devant deux cents personnes, dans le jardin. Ensuite elle ira au bar, boira une tequila « légère » : « J’ai fermé les yeux et vu un train vert avec un M à l’intérieur d’un cercle ; le même vert décoloré que le dos d’une mante religieuse. » Un train mental.

  • Double

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    « Ensemble, nous riions des enfants que nous avions été ; nous jugions que j’avais été une méchante fille qui s’efforçait d’être gentille, et lui un gentil garçon qui s’efforçait d’être méchant. Au fil des années, ces rôles allaient s’inverser, puis s’inverser de nouveau, jusqu’à ce que nous arrivions à accepter notre nature double et à nous mettre en paix avec l’idée que nous renfermions des principes opposés, la lumière et l’obscurité. »

    Patti Smith, Just Kids

  • Patti et Robert

    En refermant Just Kids de Patti Smith (2010, traduit de l’américain par Héloïse Esquié), on quitte le couple fabuleux qu’elle formait avec Robert Mapplethorpe, « artiste et muse, un rôle qui était pour nous interchangeable ». Elle a tenu la promesse d’écrire leur histoire.

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    Patricia, l’aînée de quatre enfants, ne voulait ni grandir, ni mettre un tee-shirt quand les garçons étaient torse nu. L’amour des livres lui donne vite l’idée « d’écrire un jour un livre ». Une excursion au musée des Beaux-Arts de Philadelphie avec ses parents est une autre expérience fondatrice : la gamine de douze ans « tout en bras et en jambes qui se traînait derrière les autres » se sent transformée, « bouleversée par la révélation que les êtres humains créent de l’art et qu’être artiste, c’est voir ce que les autres ne peuvent voir. »

    « Les souffrances liées à la condition d’artiste, je ne les craignais pas, mais je redoutais terriblement de n’être pas appelée. » Objet de moqueries au lycée, elle trouve un refuge dans les livres et le rock en roll, « le salut adolescent en 1961 ». Elle dessine, danse, écrit des poèmes. Elle rêve « d’entrer dans la fraternité des artistes », de vivre comme Frida Kahlo avec Diego Rivera, « de rencontrer un artiste pour l’aimer, le soutenir et travailler à ses côtés. »

    Elle est née un lundi de 1946, Robert Mapplethorpe aussi. Le troisième de six enfants dans une famille bourgeoise catholique était « un petit garçon espiègle dont la jeunesse insouciante se nuançait délicatement d’une fascination pour la beauté. » Passionné de coloriage, dessinateur-né, il fabriquait des bijoux pour sa mère – toute sa vie il portera des colliers. Dans sa famille, « on ne parlait ni ne lisait beaucoup, et on ne partageait pas ses émotions les plus intimes. » A Patti, il disait : « Ma famille, c’est toi. »

    Tombée enceinte en 1966, Patti Smith décide de faire face seule, est renvoyée de la fac. Les voisins traitant ses parents « comme s’ils cachaient une criminelle », elle se réfugie dans une famille d’accueil. A l’hôpital, les infirmières se montrent « cruelles et insensibles » envers « la fille de Dracula » aux longs cheveux noirs. Son enfant naît « le jour de l’anniversaire du bombardement de Guernica » et elle pense à la mère qui pleure un bébé mort dans les bras sur le tableau – ses bras sont vides, elle pleure, mais son enfant va vivre, il ne manquera de rien dans sa famille d’adoption. En rentrant à la maison, elle s’achète un long imperméable noir.

    Se consolant avec Rimbaud (elle a fauché les Illuminations à l’étal d’un bouquiniste), elle prépare son plan : quitter Camden, travailler, gagner assez pour rejoindre des amis à Brooklyn. A vingt ans, elle prend le bus pour Philadelphie puis New York, un lundi de juillet, « un bon jour » pour cette superstitieuse. « Personne ne m’attendait. Tout m’attendait. »

    Ses amis ont déménagé. Le nouveau locataire lui désigne la chambre du colocataire qui a peut-être leur adresse : « Sur un lit en métal très simple, un garçon était couché. Pâle et mince, avec des masses de boucles brunes, il dormait torse nu, des colliers de perles autour du cou. J’ai attendu. Il a ouvert les yeux et souri. » Il la conduit jusqu’à leur nouveau domicile, ils ne sont pas là. Elle les attend et s’endort sur leur perron de brique rouge.

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    Patti et Robert (Source : https://illusion.scene360.com/art/91031/robert-mapplethorpe/ )

    C’est le début de la débrouille, du vagabondage d’un parc à l’autre, des nuits dehors, de la faim. Un Cherokee à la peau noire, Saint, la guide vers des endroits où trouver à manger. Ils dorment chacun de leur côté, se retrouvent pour manger, parler. Un jour, il disparaît. Elle cherche du boulot. Dans la « communauté errante » d’East Village, elle se sent en sécurité, prend une douche de temps à autre chez une connaissance et se répète les mots de Saint : « Je suis libre, je suis libre. » Cet été-là, elle rencontre Robert Mapplethorpe.

    Caissière dans un magasin au nord de Manhattan, au rayon des bijoux et de l’artisanat ethnique, elle convoite « un modeste collier de Perse » qui ressemble à un scapulaire ancien, 18 dollars, trop cher. Un client en chemise blanche et cravate l’achète, c’est le colocataire qui l’avait guidée, métamorphosé. Après avoir emballé le collier persan, elle le lui tend et lâche spontanément : « Ne le donne à aucune autre fille qu’à moi. » Elle est gênée, mais Robert sourit : « Promis. »

    Le garçon de Brooklyn la croise à nouveau un jour où elle a accepté l’invitation à dîner d’un barbu trop insistant. Ne sachant comment lui échapper, elle aperçoit le jeune homme aux colliers de perles indiennes et court vers lui : « Tu veux bien faire semblant d’être mon mec ? » Robert est en plein trip de LSD, ce qu’elle ignore, ils s’en vont et finissent la nuit chez un ancien colocataire en vacances dont il trouve la clé cachée. Il lui montre ses dessins entreposés là-bas.

    « Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, nous sommes restés ensemble, ne nous quittant que pour aller travailler. Pas un mot ne fut prononcé ; ce fut tout bonnement un accord tacite. » Patti et Robert se sont trouvés, ils vont se transformer au contact l’un de l’autre, fidèles à leur vocation artistique, s’encourageant, s’acceptant tels qu’ils sont. La vie de bohème n’est pas une sinécure, mais ils travaillent, ils s’aiment. Son vocabulaire poétique et le vocabulaire visuel de Robert se dirigent vers des destinations différentes, il est plus ambitieux qu’elle, mais ces « enfants sauvages et fous » vont réaliser leur rêve.

    Patti a besoin d’une chambre pour travailler, Robert est de plus en plus attiré par les homosexuels. Ils deviennent eux-mêmes. Amants puis amis, ils ont besoin l’un de l’autre : « Patti, personne ne voit comme toi et moi. » Ils parviennent à louer une chambre au Chelsea Hôtel. Elle le pousse à prendre des photos lui-même au lieu d’en découper pour ses collages dans des magazines porno, lui l’encourage à dire ses poèmes en public, à chanter. Patti Smith veut être poète, pas chanteuse – « L’un n’empêche pas l’autre », réplique Robert. Et il en sera ainsi.

    Il gagne le premier de l’argent avec son art, photographie des fleurs et des corps. Elle écrit des articles pour des magazines rock, prend exemple sur les critiques d’art de Baudelaire. La Poésie reste son cap : « Je voulais insuffler dans le mot écrit l’immédiateté et l’attaque frontale du rock and roll. » Pour tous les deux, les rencontres, les relations, d’autres amours sont autant de balises pour avancer. Ils se quittent en 1972, quand Robert rencontre Sam Wagstaff qui va lui apporter tous les appuis nécessaires. Une autre vie commence : « Ensemble, séparément ».

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    A écouter sur https://www.youtube.com/watch?v=S5pU1LPpyfQ

    Mapplethorpe choque en montrant des actes sexuels « extrêmes » comme des œuvres d’art, elle ne le comprend pas toujours, mais bien son désir « de produire quelque chose que personne n’avait fait avant lui ». Elle lui fait entièrement confiance, le soutient inconditionnellement dans sa recherche de la lumière et du noir ; elle ne se drogue pas mais ose essayer des substances sous sa protection. De son côté, elle monte son groupe de rock, fait appel à lui pour les pochettes de ses albums.

    Des photos d’eux en noir et blanc, la plupart de Mapplethorpe, jalonnent Just Kids, devenu le livre culte d’une époque. Fin 1986, quand elle porte son deuxième enfant du guitariste Fred « Sonic » Smith, épousé en 1980, elle apprend que Robert souffre du sida, Sam aussi. Ils en mourront. « Pourquoi ne puis-je écrire des mots qui réveilleraient les morts ? »